LAURENT METTRAUX
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Luis de Pablo écrivait à votre sujet que vous aviez
clairement votre voie à vous, que votre amour pour les grandes phrases, la
rhétorique dans le sens le plus noble du mot, la conduite musicale, vous
apparente à un certain «romantisme évolué» très indépendant vis-à-vis du
courant général.
J'ajouterais
certaines spécificités comme ma recherche d'une musique intérieure et
méditative, comme si on rentrait en soi-même, ou celle visant à employer des
accords « classés» dans un contexte non tonal ou de susciter des contrastes par
les moyens les plus simples (ce qui ne veut pas dire les plus simplistes !)
Un autre
aspect essentiel de votre réflexion musicale est celui du rapport au temps.
Par un
tempo très lent, un emploi fréquent de liaisons permettant de sortir de la
métrique stricte, s'échafaude un espace hors temps, statique en apparence,
mais, comme dans la nature, grouillant de vie. En reprenant cela et en
dépouillant jusqu'à l'essentiel, mais avec suffisamment d'événements pour tenir
l'attention en éveil (mais pas trop d'événements pour que ceux-ci ne soient pas
dévalués par surabondance) et en privilégiant les changements lents,
progressifs, on éveille l'écoute et on fait s'ouvrir l'oreille à des relations
sonores que la lenteur du tempo fait redécouvrir.
Cet
aspect hors temps ou plutôt en deçà du temps est un de mes principaux centres
d'intérêt dans la composition, cette recherche rythmique étant bien sûr
elle-même soumise aux impératifs de la mélodie ou des changements harmoniques
pour que le tout soit unifié (à moins d'un décalage voulu).
Se dégager du temps fini et défini permet une grande
souplesse dans le geste musical, d'infinies nuances dans le discours compositionnel. Cette
souplesse se retrouve également lorsque, en se dégageant du temps et des
notions qui, en occident du moins, lui sont reliées, on perçoit l'unité
fondamentale entre passé, présent et futur. C'est pour cela que retrouver des
gestes musicaux qui pourraient être issus des siècles antérieurs ne me gêne
pas. Il n'y a pas attachement, ni au passé, ni au présent, ni au futur, ni
référence dans le sens des « traditionalistes » ou des « novateurs »
(qui pour être « novateurs » n'en doivent pas moins se référer à un passé). D'ailleurs,
pour moi, toute œuvre (fût-elle du Moyen Age) est contemporaine, par le simple
fait qu'elle est jouée actuellement, donc vivante.
Dans
cette immense littérature musicale, y a-t-il des compositeurs qui vous ont
particulièrement influencés?
En somme,
tous les compositeurs plus ou moins importants, du Moyen Age à notre temps,
ainsi que les musiques d'autres traditions (Chine, Japon, Inde, Irak...). C'est
un bain sonore extrêmement étendu qui m'inspire, même si certaines affinités se
laissent plus facilement percevoir à une première écoute.
Il y a
également votre grande affinité avec les compositeurs en marge.
A côté
des noms les plus cités de l'histoire de la musique, il y a une multitude de
compositeurs, dont certains extrêmement intéressants, mais qui soit ont été
occultés par un point de vue réducteur de l'histoire musicale, soit n'ont pas
été en phase avec les idéologies musicales dominantes. Dans ce dernier cas, je
pense par exemple à Ohana ou Scelsi qui ont été longtemps méconnus et qu'on redécouvre
depuis peu.
Qu'entendez-vous par « point de vue réducteur de
l'histoire musicale » ?
C'est le
point de vue d'une certaine école historiciste, issue de Hegel, qui croit à un
progrès constant. Il y a de nombreuses contradictions: déjà dans le fait que
beaucoup ne pensent qu'au progrès technique sans considérer que l'essentiel de
la musique est dans l'esprit qui la sous-tend. Souvent est cité l'exemple de
l'Ars Nova qui succède à l'Ars Antiqua. Or, après l'Ars Nova et l'Ars
Subtilior, est apparue la musique de Dunstable. De plus, d'un point de vue
expressif, on ne peut pas affirmer que la musique du XVIIème siècle soit
dépassée par rapport aux moyens expressifs de la musique de notre temps. Par
ailleurs, l'intérêt pour d'autres traditions musicales qui peuvent être tout
aussi savantes que la tradition occidentale, ouvre l'esprit sur le fait que le
rapport au temps et à l'Histoire peut
être vécu de manière différente. Un certain « européocentrisme » arrogant qui
dénigre les autres cultures, tout comme le mépris qu'ont pu encourir certains
compositeurs qui ont été ou sont encore jugés pas suffisamment
« modernistes » ou pas suffisamment « traditionnels », me semble être
l'expression d'opinions subjectives qui ne tiennent pas compte de la valeur
intrinsèque de telle ou telle œuvre ou tradition.
N'est-il
pas difficile d'affirmer une vraie personnalité de compositeur lorsqu'on doit «
digérer » tant d'apports musicaux différents?
Il est certain qu'il faut une forte personnalité
artistique pour prendre tous les matériaux comme des éléments au service de l'inspiration musicale, et non
comme des tics d'écriture, des facilités qui pourraient suppléer à des manques
d'imagination.
Ce qu'il
y a d'intéressant dans la période actuelle, c'est que, d'une part, énormément
de nouveaux terrains ont été défrichés pendant le XXème siècle (et de plus la
production discographique nous révèle d'immenses pans de la musique qui étaient
négligés); d'autre part nous sommes à une période charnière où, après
l'académisme traditionaliste (qui ne voulait rien entendre de « moderne »), le
nouvel académisme d'une certaine frange de l'avant-garde (celle qui ne
supportait aucun emploi de matériaux jugés « dépassés ») tend à céder la place
à des points de vue plus raisonnables et moins totalitaires.
Quelle
est votre attitude face aux deux académismes que vous avez évoqués ?
Je suis d'accord avec ceux qui disent qu'un académisme en
vaut bien un autre. En ce
qui me concerne, ne faisant aucune différence entre les matériaux utilisés
pourvu qu'ils soient à leur place dans l'œuvre composée, je ne me sens attiré
par aucun académisme ni aucun « retour à » des nostalgiques jeunes ou vieux. Un
artiste sincère peut être extrêmement radical dans ses positions, mais il ne
pourra jamais être académique.
Si tout
est possible, cela implique aussi et surtout l'importance du choix, et donc du
renoncement.
La musique
elle-même peut dicter ses choix, et il m'est arrivé de renoncer à écrire un
mouvement que j'avais prévu initialement parce que, au point où en était
l'œuvre, il me semblait exclu d'y ajouter quoi que ce soit. Il y a une grande
part d’inconscient dans la composition musicale et on sent souvent, plus qu'on
ne peut l'expliquer, ce qui est le plus adéquat à écrire à tel ou tel stade de
l'œuvre: le parcours musical peut être très changeant, mais il y a toujours
comme une boussole qui m'indique dans quelle direction doit continuer l'œuvre.
Il m'arrive également souvent de commencer les premières mesures d'une œuvre,
de la laisser reposer quelques jours ou quelques semaines; et lorsque je la
reprends, la composition peut se réaliser relativement plus vite grâce au
travail de l'inconscient.
La notion de plaisir a souvent été
occultée par une partie des milieux musicaux contemporains, comme s'il
s'agissait d'une concession faite au public.
Les
œuvres, à part celles que l'on écrit pour soi, sont destinées à être reçues par
un auditoire. C'est là la grande responsabilité du compositeur: si autrui offre
de son temps, en échange la musique écoutée doit lui transmettre quelque chose.
S'il s'agit uniquement de plaisir au sens le plus épidermique du terme, l'échange
sera pauvre et insignifiant, ce qui ne sera pas le cas si ce plaisir est la
résultante de quelque chose de plus profond. Il ne faut donc pas viser
uniquement le simple plaisir de l'auditeur.
Peut-on
définir concrètement ce que, selon vous, la musique devrait ou pourrait
apporter à l'auditeur?
Dans le
meilleur des cas, l'auditeur sent par l'action de la musique une évacuation de
ce qui emprisonne son être et il peut se retrouver face à lui-même avec ses
tensions négatives résolues et pacifiées. Avant d'en arriver là, il y a bien
sûr tout un cheminement personnel qui dépendra autant des blocages de
l'auditeur que de la capacité des musiques qu'il écoute à pénétrer les forces
de son inconscient.
C’est ainsi que la musique peut être thérapie de
l’âme ?
Thérapie du corps également, une bonne part des maladies
étant expression d'un désordre psychosomatique. Les musiques de fuite (mélodies
sirupeuses, harmonies démagogues, pulsions rythmiques primaires évoquant les
battements cardiaques maternels perçus par le fœtus) ne permettent pas à
l'auditeur de grandir intérieurement. A l'inverse, la musique qui a une
véhémence de surface ou qui n'exprime que violence gratuite, n'est guère plus
porteuse de sens, elle n'est que vague trépignement. Elle déstabilise plutôt
que d'atteindre la profondeur de l'être. Pour pouvoir atteindre des couches
plus profondes de l'âme et de l'esprit humain, il faut que dans la composition,
chaque note ou geste musical soit porteur de signification et soit intensément
vécu par le compositeur, qui peut ainsi vraiment parler « du cœur au cœur ». Il
ne faut donc rien écrire qui ne vienne pas d'une nécessité intérieure, sans
laquelle l’œuvre est vide.
Avez-vous
personnellement en vue l'auditeur lorsque vous composez ?
Penser à
plusieurs ou à un seul auditeur peut être source de blocage. De toute façon si
le compositeur a quelque chose de profond et d'équilibré à transmettre, sa
musique en sera le reflet (sauf incapacité technique évidemment). Surajouter
des intentions lors de la composition est plus un obstacle qu'une aide.
C'est
après la composition que l'on s'aperçoit, lors de l'exécution, des réactions des
auditeurs. Avant cela, il n'est pas nécessaire de s'en préoccuper spécialement.
Il peut y avoir des surprises intéressantes: telle cette interprète japonaise
qui avait trouvé des parallèles entre une de mes œuvres et la musique du
théâtre Nô, sans que j'en aie été conscient lors de la composition. A l'écoute
d'une œuvre, un auditeur, suivant sa culture ou ses préférences, se sentira
interpellé par tel ou tel aspect, voire se raccrochera à telle ou telle
référence qu'il perçoit ou croit percevoir. Cela fait partie de la richesse
intrinsèque d'une œuvre, qui est capable d'offrir quelque chose aux
personnalités les plus diverses. C'est ainsi que je me suis aperçu que ma
musique était autant appréciée en Argentine qu'en Russie, en Inde ou au Canada,
par exemple.
Vous
aurez remarqué que les 450 premiers numéros ne se trouvent pas dans le
catalogue de mes œuvres disponibles: ce sont des œuvres de jeunesse, que j'ai
écrites entre douze et dix-neuf ans. Cette numérotation correspond donc à un
catalogue chronologique qui contient également les œuvres inachevées.
Concrètement, j'écris en moyenne une quinzaine d’œuvres par année, de formation
et de longueur diverses.
Il semblerait, à première vue, que vous
auriez des affinités plus particulières pour certains instruments.
A vrai dire, tous les instruments
m'intéressent, y compris les moins usités (aussi les instruments de la renaissance
et du baroque, les instruments extra-européens), mais leur emploi dépend des
commandes que je reçois. En fait, il arrive souvent qu'un interprète qui m'a
commandé une œuvre en soit si satisfait qu'il me recommande peu après une
nouvelle composition. C'est pour cela que certains instruments sont
momentanément privilégiés dans mon catalogue. Cela dit, lorsque j'écris pour un
instrument particulier, j'en connais (presque) toutes les possibilités, y
compris les techniques contemporaines. Cela ne veut pas dire que lors de la
composition, je ressors comme un étudiant tout ce que j'ai appris: ce sont des
potentialités dans lesquelles je puise au gré de ce que la musique demande.
Quelles
sont les formations avec lesquelles vous aimez le mieux vous exprimer?
En fait,
je suis à l'aise avec toutes les formations vocales ou instrumentales. Mais il
est vrai que j'ai une certaine prédilection pour l'orchestre, particulièrement
le concerto, et pour les œuvres pour voix et orchestre (scéniques ou non).
Interview
de Laurent Mettraux, réalisé par Philippe Schilder (Lausanne) en janvier 2001.