LAURENT METTRAUX

 

Route Principale 160, CH-1791 Courtaman (Suisse)

Tél. + fax : (+41) 26/684.18.65, E-mail : laurent.mettraux(at)bluewin.ch

 

 

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LA MUSIQUE, UNE PORTE OUVERTE DANS LE SILENCE

 

ENTRETIEN AVEC LAURENT METTRAUX

 

Interview réalisé par Jean-Louis Matthey

 

Paru en décembre 2005 dans la Revue Musicale Suisse

 

 

Avec le développement d'un fonds Laurent Mettraux à la Bibliothèque cantonale et universitaire de Fribourg, qui abrite déjà huitante titres de son catalogue qui en contient plus de 640, le compositeur fribourgeois peut se réjouir du rayonnement de son œuvre, jouée partout dans le monde (Europe, Asie, Caucase, USA, Canada, Amérique centrale et Amérique du Sud). Le Concerto qu'il avait écrit pour l'inauguration du nouvel orgue de la cathédrale de Lausanne sera rejoué en 2006 par l'Orchestre du Gewandhaus de Leipzig, sous la direction de Riccardo Chailly. Dernièrement, le chef d'orchestre suisse Emmanuel Siffert a enregistré à Volgograd Ombre pour orchestre, d'après une des histoires extraordinaires d'Edgar Allan Poe. Parmi ses œuvres récentes, citons aussi un double-concerto pour la célèbre joueuse de pipa Yang Jing et le violoniste Boris Livschitz. Ajoutons, parmi les interprètes célèbres qui ont défendu ses œuvres, Tibor Varga, Sylvain Cambreling, Jesus Lopez-Cobos avec l'OCL, Le Zürcher Streichtrio, le Quatuor Talich, le New London Chamber Choir.

 

 

Vous est-il possible de jeter un rapide regard en arrière sur votre destin musical ?

 

En fait, je me suis très tôt destiné à la musique. J'avais 17 ans lorsque, après avoir hésité à devenir écrivain, j'ai opté définitivement pour la composition. Mais souvent, j’écris ou arrange les textes sur lesquels je compose. De 1985 à 1996, j'ai fait mes études au Conservatoire de Fribourg, où j'ai été notamment l'élève de René Oberson. Outre le piano, j'ai également travaillé le violon, ce qui m'a été très utile par la suite pour écrire pour les cordes. Je peux ainsi proposer moi-même les coups d'archet. J'ai aussi travaillé la composition avec Eric Gaudibert à Genève et, dans cette même ville, la direction avec Liang-Sheng Chen. J'ai également étudié la musique ancienne avec le musicologue fribourgeois Jean-Yves Haymoz. En outre, je garde un contact avec la pratique de la musique, ayant un poste d’organiste à Barberêche, dans le canton de Fribourg.

 

 

Vous vous consacrez entièrement à la composition ?

 

En effet, j'ai la chance de pouvoir me consacrer entièrement à la création et de pouvoir vivre des commandes que je reçois, de Suisse ou de l’Etranger. Je compose principalement pour des formations professionnelles, mais j’ai néanmoins écrit quelques pièces (chorales entre autres) destinées à des non-professionnels. Mes premières compositions datent de 1982, mais à l’époque, je ne connaissais rien du solfège et de l’écriture musicale, et j’avais inventé mon propre système de notation, avec des portées de sept lignes. Entre douze et vingt ans, parallèlement à mon apprentissage de la théorie et de la pratique musicale, j’ai « pondu » 450 œuvres. Par la suite, le rythme s’est ralenti, puisqu’il ne s’agit désormais plus d’écrire au kilomètre des essais d’apprenti, mais bien de construire quelque chose de solide, propre à apporter à l’auditeur, en plus d’un plaisir purement sensitif, quelque chose de plus profond.

 

 

Votre contribution à la vie musicale en Suisse et à l'étranger vous situe-t-elle comme un compositeur "classique moderne" de la  nouvelle génération ?

 

C'est une approche possible. Je m’inspire en effet des matériaux sonores ou des styles hérités de la tradition, mais je les libère des contraintes formelles liées à l'académisme. Mon esthétique est en effet classique, même si elle utilise des matériaux de la musique contemporaine lorsque le besoin s’en fait sentir. Dans notre période de pluralisme esthétique, il est d’autant plus important de trouver sa propre voie et de la suivre, tout en restant à l’écoute des autres. De la musique médiévale à la musique de notre temps, en passant par les traditions musicales savantes et populaires des civilisations de toutes époques et de tous lieux, tout peut devenir objet de réflexion et d’apprentissage, mais il ne faut pas oublier de canaliser ces apports vers le creuset de sa propre sensibilité artistique. Les matériaux ne sont rien de plus que des matériaux s’ils ne sont pas animés par l’esprit qui les rend vivants. Lorsqu’on chante ou joue de la musique de Dufay, de Monteverdi, de Bach ou de Mahler, elle devient tout autant contemporaine que celle de Ligeti, de Xenakis ou de Scelsi, car ces œuvres sont écoutées, vécues aujourd’hui. Ce sont donc autant de musiques que j’ai plaisir à écouter, et qui peuvent m’inspirer sans qu’il y ait un travail de copie, puisqu’elles sont transmutées par mon imagination ou mélangées à d’autres influences. Comme si je butinais des centaines de fleurs pour en faire mon propre miel, avec son goût spécifique.

 

 

Le mot atmosphère revient souvent dans votre vocabulaire,  qu’entendez-vous par là ?

 

Le climat d'une œuvre est pour moi essentiel. Mon langage est d’ailleurs souvent compris comme voulant créer une suite d’atmosphères qui se génèrent les unes les autres, dans une démarche soucieuse de poésie. Ces atmosphères peuvent engendrer des sentiments ou générer des associations d’idées chez les auditeurs. Il arrive qu’on me dise que tel passage d’une de mes oeuvres a évoqué, par exemple, un paysage automnal pour l’un, un monument ou un souvenir d’enfance pour tel autre, sans pourtant que j’aie voulu exprimer quelque chose de particulier. Je suis sensible à l’atmosphère de l’œuvre dès le début de la composition. Souvent, je commence par écrire juste quelques mesures, et je laisse la partition de côté quelques jours ou quelques semaines. Pendant ce laps de temps, je peux travailler à d’autres œuvres, tandis que la pièce commencée s’élabore progressivement dans l’inconscient. Ainsi, lorsque je reprends la partition, une partie de l’œuvre s’est mise en place, bien qu’elle soit toujours susceptible d’être modifiée au cours de mon travail.

 

Pour moi, la notion d’équilibre est un aspect important de la composition. Ce n’est pas une structure préalable qui me guide, mais plutôt un équilibre entre différents épisodes contrastés. Un cheminement où passages de tension et de détente se succèdent, s’entremêlent, pour former un discours cohérent. J’accorde également une très grande importance aux nuances et à leur gradation. Il existe en effet une différence sensible entre un molto p et un pp. J’aime aussi explorer les extrêmes de la dynamique, surtout dans les nuances les plus faibles ; cela force aussi à écouter, à tendre l’oreille, à être plus perceptif. Je suis toujours étonné de voir à quel point une majorité de personnes peuvent aimer s’étourdir dans le bruit, par peur du silence, par peur de se retrouver face à soi-même. La musique, pour moi, n’est pas un élément destiné à combler un vide existentiel. Elle est au contraire une porte ouverte dans le silence, qui nous permet d’accéder à des réalités inexprimables par le langage verbal. Fille du Silence, la Musique est toujours prête à y retourner, lorsque ce qui devait être dit l’a été. Ainsi, lors de l’écriture d’une œuvre, je m’efforce de maintenir l’attention, sans aucun bavardage inutile. Et justement, ce qui m’a souvent touché lors d’interprétations de mes œuvres, c’est la qualité de l’écoute des auditeurs.

 

 

Vous accordez beaucoup d’importance à la précision de la notation du rythme.

 

La thématique du temps musical me passionne : autant pour le rythme en lui-même que pour les articulations du discours musical, où on retrouve la notion d’équilibre que j’ai évoqué précédemment. Au niveau rythmique, j’apprécie tout particulièrement la souplesse offerte par l’utilisation simultanée ou consécutive de duolets et de triolets, ainsi que les liaisons qui passent par-dessus les temps et les mesures, formant ainsi comme une suspension dans le déroulement du temps. La rythmique de Messiaen, entre autre, m’a particulièrement influencé, en me faisant découvrir également la richesse des rythmes de la Grèce Antique et de l’Inde. 

 

 

Avez-vous des projets ?

 

C'est avec plaisir que je composerais un opéra (j’ai plusieurs projets en tête) ou des mélodies pour voix et grand orchestre. D'autre part, j'ai en chantier des œuvres pour des formations diverses, comme une œuvre vocale, commande sur concours de l’Universal Sacred Music de New York, un Quatuor de violoncelles pour le Festival VivaCello de Liestal,  une pièce pour arpeggione solo et une Suite pour quintette à vents.

 

Interview réalisé en novembre 2005